La ville de Dieppe en Normandie – La plus ancienne station balnéaire de France
Entre voyages au long cours, explorations lointaines et bains de mer aristocratiques et thérapeutiques, la doyenne des stations balnéaires françaises a gardé de son histoire le charme d’un port vivant, et une immense esplanade en bord de mer unique en son genre. Dieppe, c’est la plage la plus proche de Paris. Elle est très fréquentée à l’époque par la haute société anglaise, inconditionnelle de la baignade curative depuis le XVIIe siècle, des anglais qui ont établi leurs quartiers à l’ouest de la ville, sur les hauteurs de Caude-Côte. Dès 1813, la reine Hortense (la femme de Louis Bonaparte, ex-roi de Hollande) et ses enfants, dont le futur Napoléon III, viennent profiter de l’air iodé et de l’eau vivifiante de Dieppe. Une partie de la Cour et de la bonne société parisienne leur emboîte le pas dans les années qui suivent. En 1822, le premier établissement de bains de mer dresse ses pavillons et déroule ses larges pontons jusqu’aux lieux de baignade. Grâce à l’impératrice Eugénie, en voyage de noces sur la Côte d’Albâtre, les huit hectares de l’esplanade dépotoir sont transformés en jardins d’agrément à l’anglaise, et le chantier naval transféré dans l’arrière-port.
La belle Marie-Caroline
Mais le véritable lancement de la mode balnéaire, on le doit à la duchesse de Berry. Elle fera son arrivée fastueuse au son du canon en 1824. La belle Marie-Caroline restera fidèle à Dieppe jusqu’en 1830, entraînant dans son sillage artistes et gens du monde. On lui doit entre autres l’essor de l’artisanat de l’ivoire ou la construction de ce petit théâtre à l’italienne, malheureusement fermé aujourd’hui. La duchesse de Berry a le sens du spectacle. Elle fait de son bain une cérémonie haute en couleur, toujours accompagnée du maire de la ville ou du médecin inspecteur des bains, tout deux entrant dans l’eau en habit de cour, sous le regard vigilant des « baigneurs jurés », les ancêtres de nos maîtres nageurs secouristes d’aujourd’hui. La présence d’un médecin est essentielle, le bain de mer est thérapeutique avant tout, et les eaux, au pied des falaises du pays de Caux, ont très bonne réputation : Henri III n’est-il pas venu y soigner « certaines gales dont il était travaillé » et Henri IV n’y a-t-il pas fait transporter sa chienne Fanor malencontreusement mordue par un chien enragé ? En 1850, les premiers trains de plaisir scelleront durable. ment le succès des bains de Dieppe auprès des riches Parisiens, avant que la douceur des sables de la Côte fleurie ne supplante l’austérité des galets cauchois. En 1857, on inaugurera à Dieppe le « casino de plage », le premier du genre en France.
Un port avant tout
Aujourd’hui, après les destructions de la dernière guerre, restent de cette période faste un casino qui n’a plus grand-chose à voir avec le lustre d’antan, un centre de thalassothérapie fermé, comme le petit théâtre de la duchesse de Berry (place Camille-Saint-Saëns); et quelques équipements un peu défraîchis au bout de l’Esplanade, au pied du château, ce que les Dieppois appels lent pudiquement la « station balnéaire », comme pour bien préciser que Dieppe, c’est tout autre chose qu’un lieu de plaisir estival. En fait, le charme de la ville est ailleurs. La cité cauchoise n’a rien à voir avec ces stations marmottes qui s’éveillent aux beaux jours pour se replier dès les premières fraîcheurs. Célèbre pour ses corsaires-armateurs, Dieppe a gardé le sang chaud des navigateurs au long cours. Jehan Ango, les frères Parmentier, Jean Fleury, Abraham Duquesne ont marqué la vie maritime française. Ils ont donné à la cité son identité forte. Plus que de sa plage, Dieppe vit de ses quatre ports, port de marchandises pour la banane autrefois; l’ananas et la mangue aujourd’hui, port de pêche pour la coquille Saint-Jacques, port transmanche pour rejoindre Newhaven et port de plaisance en eaux profondes pour une escale au coeur de la ville. Le souvenir de la grande époque de la pêche est encore très présent ; et les quartiers populaires du Pollet et du Bout-du-Quai ont conservé l’empreinte des travailleurs de la mer. Pourtant, le navigateur qui, aujourd’hui, rentrerait au port après un long voyage ne reconnaîtrait pas sa ville ; tant sa mutation est profonde depuis quelques années : Restaurations et réhabilitations ont redonné aux quartiers Sainte-Catherine et Saint-Jacques, au Pollet ou au Bout-du-Quai, un cachet qu’on ne leur connaissait pas ; Mais, surtout, la gare maritime et sa noria trépidante de camions, de ferries et de trains ont quitté le quai Henri-IV pour laisser la place à une agréable promenade entre terrasses et port de plaisance, dans une sérénité retrouvée, enfin dès que les travaux seront terminés, l’année prochaine peut-être.
A visiter sur Dieppe
Le Pollet : le quartier des pêcheurs
Le quartier du Pollet est accroché au pied de la falaise dîte » de la Femme grosse », de l’autre côté du port. Pour y aller, il faut traverser le pont Ango, derrière l’office du tourisme, puis le pont Colbertn construit en 1889 pour enjamber le nouveau chenal (un pont tournant de 70 mètres de long, toujours commandé par d’antiques vérins à eau). Il faut suivre la ruelle de Grèves, puis la rue Guerrier et la rue Quiquengrogne, qui tire son nom du célèbre cri de guerre des corsaires de la Manche (qui grogne ? qui ose me resister ?) – c’est l’une des rues les plus anciennes de Dieppe. Le Pollet est encore imprégné de la grande époque de la pêche, quand les rues étaient peuplées de ramendeuses de filets ou de vanniers tressant les mannes à poisson. Dès le moindre rayon de soleil, on sortait les chaises sur le pas de porte pour bavarder et pour prendre l’air et la lumière qui rentraient difficilement dans les petites maisons de pêcheurs. Par la rue du Petit-Fort, on peut gagner le haut de la falaise et rejoindre la chapelle Notre-Dame-de-Bonsecours (1876), la chapelle des marins et le sémaphore. Au retour, il faut faire une halte au café le Mieux ici qu’en face, au numéro 9 du quai de la Somme, pour vérifier qu’effectivement on est bien mieux ici…
L’Estran – cité de la mer
Les sciences et techniques de la mer et de la pêche, présentées en quatre espaces muséographiques : la construction navale, la pêche « de la mer à l’assiette », les falaises et les galets, et les aquariums marins avec un nouvel espace « biologique halieutique ». La société des sauveteurs dieppois a vu le jour en 1839. Aujourd’hui, c’est le Notre-Dame-de-Bonsecours, un canot tout-temps, qui va au secours des marins en difficulté, pris au piège des murailles à pic des falaises du pays de Caux, un des plus grands dangers pour les navires qui rentrent au port par gros temps.
Le Château-Musée
Dans l’ancien logis des gouverneurs de Dieppe, construit en 1490 à mi-hauteur de la falaise Ouest, le musée se partage entre marine, peinture (Courbet, Pissarro, Boudin, Renoir…), archéologie, art populaire et surtout ivoires, avec l’une des plus belles collections d’ivoires sculptés du XVIe siècle au XXe siècle, maquettes de bateau, médaillons finement ciselés, Polletais en costume, râpes à tabac du XVIIe siècle, éventails, boîtes, etc. Les marins dieppois rapportaient de leurs escales sur la côte Ouest de l’Afrique, notamment en Guinée, des défenses d’éléphant qui alimentaient un artisanat florissant dans le port Normand. Des sculpteurs célèbres ont donné ses lettres de noblesse à l’ivoire dieppois, comme Pierre Graillon, au XIXe siècle, qui fut un véritable artiste, le chantre de l' »éminente dignité des pauvres » (une salle lui est entièrement consacrée). Le musée présente également quelques souvenirs légués par Camille Saint-Saëns, un enfant du pays.
Les trésors en péril de l’église Saint-Jacques
Il ne faut pas s’arrêter aux barrières qui tiennent les passants à distance des chutes de pierres (un bloc de 15 kilos est tombé sur le parvis cet hiver). Si l’église a été bien négligée ces derniers temps, Saint-Jacques et ses 107 gargouilles gardent pourtant des trésors. Passé la superbe façade du XVe siècle, d’un gothique flamboyant de la meilleure facture, on peut découvrir à l’intérieur, sur le « mur du Trésor », une étonnante frise sculptée du XVI°, dite la Frise des Sauvages. Elle raconte en images de pierre les grandes explorations des marins dieppois, leurs rencontres avec les Indiens d’Amérique représentés avec de grandes plumes et des arcs. On y reconnaît également les cheveux crépus des populations d’Afrique noire ou les têtes enturbannées des Orientaux, le tout au milieu d’animaux sauvages et autres serpents enlacés autour d’arbres tropicaux.
A visiter autour de Dieppe :