Découvrez le Marais Vernier en Normandie
C’est l’un des sites les plus pittoresques situé sur la partie haute de la Normandie, une zone écologique représentant 5 000 hectares disposant de parcelles agricoles unique en France : les courtils, bande de terrain d’un kilomètre de long sur quelques dizaines de mètres de large.
Le marais Vernier est une plaine marécageuse de 4 500 ha au coeur du parc naturel des Boucles de la Seine normande. Ses terrains ont été mis en valeur depuis des siècles. Les toits des maisons portent des bouquets d’iris, avec des fondations et soubassement en silex et blocs de craie ; mur à pans de bois et colombage pour tenir le torchis.
Le marais Vernier comporte également la pointe de la Roque, une falaise haute de plus de 50 m, avec un phare qui domine la Seine et les installations industrielles Havraises.
C’est la plus grande tourbière de France, des dizaines d’espèces d’oiseaux migrateurs viennent y nicher, ses habitants y entretiennent des traditions collectives datant du Moyen Age, on y voit pâturer des taureaux descendant de l’aurochs… le marais Vernier est vraiment unique en son genre, un monument naturel, et une aventure écologique et humaine exceptionnelle.
Les gens qui le visite disent que l’endroit est magnifique. Sur ces terres humides, les populations ont longtemps vécu modestement, en autarcie, trouvant sur place de quoi se nourrir et construire leurs habitations. Les citadins de passage qui s’enthousiasment aujourd’hui pour la beauté du site ne peuvent imaginer que la vie dans ce « monument naturel », la plus vaste tourbière de France, n’a pas toujours été une partie de plaisir. A l’inverse, les habitants, qui ne livrent que chichement leurs émotions, ont tendance à banaliser leur territoire, théâtre pourtant d’une aventure écologique et humaine exceptionnelle.
Nous sommes ici dans les confins de l’estuaire de la Seine, un espace où eau douce, eau salée et terre se mêlent étroitement pour apporter promesse de richesses, mais aussi certitude de précarité à toute activité humaine. Rêve de géographes, le marais Vernier et ses 4 000 hectares s’inscrivent sur la rive gauche du fleuve, au pied du plateau du Neubourg, dans un cercle presque parfait dessiné par un ancien méandre abandonné il y a 20 000 ans Il a pris sa forme actuelle au début du siècle, avec l’endiguement de la Seine, qui permit de stabiliser les alluvions au nord et de contenir les incursions du fleuve dans les parties les plus exposées du sud, qui ne culminent guère à plus de deux mètres au-dessus du niveau de la mer.
Les hommes se sont d’abord installés sur les hauteurs de l’amphithéâtre, vraisemblablement à Saint-Samson-de-la-Roque, dont le nom vient d’un archevêque de Dol, en Bretagne, qui aurait bâti sur place l’abbaye de Pental, disparue avec les raids vikings au IXe siècle. Les terres basses ne seront colonisées qu’un peu plus tard par d’autres monastères. Le voyageur un peu curieux peut retrouver une trace de ces efforts de défrichements monastiques. A un carrefour de chemins, au cœur du marais, se dresse la croix de la Devise, déformation de la « croix divise », qui matérialisait, selon des érudits locaux, le point de contact des dépendances des abbayes de Jumièges, du Grestain et du Bec-Hellouin.
Défrichements monastiques
Durant tout l’Ancien Régime, le marais Vernier sera le théâtre de conflits d’intérêts entre ces abbayes en perte de vitesse, les rois, dont c’est l’un des domaines de chasse, les seigneurs locaux et les communautés villageoises. Depuis des temps « immémoriaux », comme disent les textes anciens, ces dernières ont accaparé l’usufruit du marais. Elles avaient pris l’habitude d’y prélever le bois mort, les roseaux pour les toitures, la tourbe pour les courtils (jardins), d’y chasser le petit gibier et surtout d’y faire pâturer le bétail du printemps à l’automne. En échange, chaque paysan devait exécuter trois jours de corvée par an pour son seigneur, laïc ou ecclésiastique. Partout, dans l’ancienne France, les historiens ont constaté l’existence de telles terres « communales » exploitées collectivement. Au XVIIIe siècle, les physiocrates, partisans d’une agriculture « rationnelle », font campagne pour réduire à néant ces droits des paysans. « Il semblait que ce fût un reste de barbarie de voir de vastes terrains échapper à la culture », écrit le géographe Jules Sion (Les Paysans de la Normandie orientale, 1909, réédité par Gérard Montfort en 1978).
Les terres communales
La Révolution de 1789, bourgeoise et jacobine, sonne en France le glas de l’exploitation collective. Partout dans le pays, les terres « communales » sont partagées au profit des plus gros laboureurs, sauf dans de rares endroits comme… le marais Vernier. Là, les habitants semblent souscrire dans un premier temps à cette idée avant de renoncer, tant le sentiment collectif est fort et les pratiques communautaires particulièrement adaptées à un milieu difficile. Leur résistance fut telle que la tradition s’est finalement perpétuée, presque intacte, jusqu’à nos jours. Chaque 1er mai, les habitants se rassemblent devant l’unique café du Marais-Vernier pour participer au marquage des bêtes aux initiales MV avant leur envoi sur les pâturages « communaux ». Pour quelques heures, ce jour-là, le marais se donne des all.. de pampa argentine avec ces odeurs âcres de fers ro de cornes et de cuirs brûlés, et ces meuglements dans maux énervés. Installé à la terrasse du café, le maire in crit les bêtes sur un registre et chaque éleveur verse échange une petite somme pour contribuer à l’entretien des pâturages.
Si la volonté des élites de « privatiser » ces terres s’est heurtée aux traditions locales, elle a dû compter aussi avec les difficultés techniques rencontrées pour rendre le marais cultivable. Sous l’Ancien Régime, la plus sérieuse tentative fut menée au début du XVIIe siècle par le Hollandais Humpfrey Bradley, nommé » maistre des digues » par Henri IV, qui voulait assécher « tous les paluz et maraiz estans dans le royaume » pour les rendre « propres au labour, prairies ou herbage ». Le Hollandais fait creuser des canaux convergents vers la Grand’Mare, le point le plus bas du marais, et construire une digue, dite « des Hollandais », depuis les falaises de la Rocque jusqu’à Saint-Aubin. Mais les travaux achevés en 1633 ne sont pas à la hauteur des espérances et, faute d’entretien, le marais retrouve vite son aspect antérieur.
Ukraine normande
Un projet beaucoup plus gigantesque verra le jour au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à un moment où le gouvernement cherche des solutions pour accroître la production agricole. Dans le cadre du plan Marshall, il veut faire du marais Vernier une « Ukraine normande » en développant des cultures intensives de céréales et de légumes. Dans l’enthousiasme, de coûteux travaux de drainage et de défrichement sont engagés, et une ferme « modèle » de 150 hectares installée en 1951 au bord de l’ancienne digue des Hollandais. « Au début, tout était merveilleux, les bâtiments étaient bien plus modernes que les nôtres et les salles de traite exceptionnelles, mais la nature a vite repris ses droits », se souvient l’un des agriculteurs. Asséchée, la tourbe se décompose rapidement et forme une « compote » pratiquement impropre aux travaux agricoles. Tous les anciens « maraiqués » se souviennent de cette image insolite de puissants tracteurs s’embourbant sur ces terres trop sensibles.
Depuis, la ferme modèle, appelée ferme du Milieu sur les cartes, a plusieurs fois changé de main et n’est plus exploitée. Si l’économie céréalière d’inspiration beauceronne n’a pu s’imposer dans les années 50 au marais Vernier, l’économie herbagère, elle, vient d’imploser sous l’impact des quotas laitiers. Le monde de Michel Foutel a basculé. En comptant large, il reste sur le pourtour du marais une vingtaine d’exploitants, dont la plupart cultivent aussi des céréales sur des terres du plateau. Les terres les plus hostiles sont souvent rachetées par les chasseurs, qui disposent d’une réserve cynégétique autour de la Grand’Mare, une halte fréquentée par plus de 200 espèces d’oiseaux. Mais, en l’absence de pâturage. ces prairies perdent peu à peu leur richesse écologique. Contrairement à une idée reçue, le retour à un hypothétique état de nature n’est en effet pas toujours un avantage. Les espèces banales comme les roseaux, les fougères, les saules et les bouleaux prennent vite le dessus, entraînant du même coup un appauvrissement de la faune. Alors que, dans une prairie pâturée de manière extensive, on recense 40 espèces végétales « supérieures », ce nombre tombe à quatre ou cinq sur des parcelles abandonnées depuis quarante ans.
Des bovins écossais
En 1979, pour lutter contre cette tendance, un jeune chargé de mission du parc naturel régional de Brotonne, Thierry Lecomte, décide d’implanter, sur une centaine d’hectares de terres acquises par le ministère de l’Environnement, des bovins écossais highland cattle. En quelques années, il réussit à prouver que la présence de ce proche parent de l’aurochs, « un véritable 4 X 4 doublé ď une tondeuse », est capable de redonner une biodiversité au milieu. Les plantes rares comme les orchidées sont revenues et, à leur suite, des batraciens, des reptiles, des insectes et même des cigognes, dont certaines oublient même de migrer vers l’Afrique durant l’hiver ! La réserve des Mannevilles est née. En quelques années, elle fait école. Des chasseurs et des agriculteurs acquièrent à leur tour de telles bêtes pour entretenir leurs parcelles. Cette réserve n’est toutefois qu’une réponse partielle au problème de la gestion à long terme du marais, qui soulève bien des inquiétudes dans tous les milieux.
Les agriculteurs respectueux de l’environnement
Passé en cinquante ans du Moyen Age à l’ère du village mondial, le marais Vernier a un peu perdu la boussole. Le poids des erreurs du passé rend les plus anciens sceptiques devant des projets qui semblent plaqués de l’extérieur. Pourtant, l’Europe, qui a infléchi sa politique agricole et fait régulièrement pression sur la France pour qu’elle soit plus vigilante en matière d’environnement, peut être une chance pour un tel site. C’est peut-être a cette porte qu’il faudra en effet frapper pour trouver une solution au mal profond qui ronge le marais : son assèchement. La Grand’Mare, qui est le plus grand étang naturel de Normandie orientale, est passé de 110 à 50 hectares en quelques dizaines d’années. « Les roseaux avancent de sept à huit mètres par an ».
Le phénomène est connu et unanimement déploré. Car tous les « usagers » du marais, de l’éleveur au chasseur, en passant par l’amoureux de la nature, ont aujourd’hui intérêt à lui conserver son caractère humide. Une étude a été lancée en 1996 pour trouver une solution. Après, il faudra chercher les fonds pour réaliser des travaux de curage et d’hydraulique qui s’annoncent particulièrement coûteux. En sachant qu’il s’agit de retarder des échéances. « un marais, ça naît, ça vit et ça meurt »…
Vivre et habiter au marais Vernier
Les paysans du marais Vernier ont construit leurs maisons et leurs bâtiments agricoles sur le pourtour du marais, de manière à les préserver de la montée des eaux. Les matériaux utilisés sont d’origine locale : roseaux de la Grand’Mare pour les toitures, iris violet pour l’étanchéité des faîtes, silex et pierres de craie du sous-sol pour les fondations, limon pour le torchis, bois de chêne pour les colombages ou de châtaignier pour les clôtures… Quand la chaumière est perpendiculaire à la pente, elle possède une cave semi-enterrée, appelée « cafoutin », qui sert au stockage des pommes. Le verger se trouve juste au-dessus de la maison. Aujourd’hui, les pommiers vieillissent sans être toujours remplacés, mais, pendant longtemps, ils ont énormément compté pour les agriculteurs du marais. «La pomme, c’est ce qui nous a tirés, assure l’un des agriculteurs. Lui-même en faisait jusqu’à 40 tonnes par an, qu’il conservait en chambre froide puis vendait au Havre. Une variété s’est particulièrement bien adaptée aux coteaux du marais Vernier : la «rever », du nom du curé qui l’a dénichée au XVIIIe siècle dans la région de Dol-de-Bretagne. Au-delà des vergers, des bois qui protègent les sols de l’érosion s’étendent à flanc de coteau. A l’opposé, en contrebas de la maison, chaque habitant possède souvent un « courtil», une bande de terre de plus en plus étroite qui s’enfonce vers le coeur du marais et fait office de potager. Ces parcelles sont séparées par des haies de saules têtards, tandis que la route qui dessert les villages est bordée de haies où domine le houx. Quant au marais tourbeux proprement dit, peu accessible au voyageur, il s’étend sur 1600 hectares. La tourbe, qui est de qualité médiocre, servait parfois d’appoint pour le chauffage et d’engrais pour les potagers.