Deauville en Normandie – Le 21e arrondissement de Paris
« Plage fleurie », « Brighton français », « Bade marin », « Impératrice des plages », « Reine des élégances et des
sports»… les qualificatifs n’ont jamais manqué pour louer Deauville, la station balnéaire la plus huppée de Normandie. Mais c’est probablement le titre de « XXIe arrondissement de Paris » qui lui convient le mieux. Reliée par l’autoroute avec la capitale avant Le Havre et Caen, Deauville est devenue l’annexe balnéaire des quartiers chics de la capitale. Et, malgré sa taille modeste – elle ne compte que 5 000 habitants – Deauville figure dans la cour des grandes stations françaises avec Cannes et Biarritz.
Le Duc de Morny
Jusqu’au milieu du XIXe siècle, Deauville n’est pourtant qu’un modeste village d’une centaine d’habitants planté sur un coteau dominant un no man’s land de dunes marécageuses qui la sépare de la mer. A ce moment, Trouville s’est déjà affirmée comme la « reine des plages » et accueille les déçus des galets de Dieppe ou du Tréport. Mais, rapidement, la bonne société se plaint de la promiscuité avec la moins bonne et réclame « sa » station. Elle reçoit l’appui du duc de Morny, demi-frère de Napoléon III, qui fonde avec quelques amis une société immobilière. Il achète en 1859 les 240 hectares de terrains marécageux de Deauville pour 800 000 francs… Une fortune pour l’époque, que se partageront les petits propriétaires de ces terres jusqu’alors inhospitalières. A peine quatre ans plus tard, certains de ces terrains se revendront 30 à 40 fois leur prix d’achat !
L’opération prend corps en effet très rapidement. En 1863, la voie de chemin de fer son cheval et piquer un galop sur la grève, arrive à Deauville, dont le nouveau lotissement compte déjà 250 villas souvent superbes. L’année suivante, l’hippodrome de la Touques et sa piste de 2 200 mètres sont inaugurés. En 1866, c’est au tour du bassin à flot de voir le jour. L’ascension de Deauville connaît toutefois un coup d’arrêt avec la chute de l’Empire. « La Troisième République boude la station, qui apparaît comme la fille du régime déchu », estime Yves winlanète pilotant parfois Aublet, l’historien local. Le phénomène s’accentuera avec le recul de plusieurs centaines de mètres de la mer, qui laissera la plage dans un triste état. Le renouveau viendra avec la Belle Epoque et la construction, à la veille de la Grande Guerre, du casino et des grands hôtels comme le Normandy et le Royal. La réputation de Deauville sera définitivement assise avec l’installation, en 1923, des « planches » sur la promenade qui longe la plage. Un second hippodrome (Clairefontaine) en 1927, un aéroport 1931 (le mieux équipé de Nor mandie), un port de plaisance e eau profonde en 1973 (doté d 800 mouillages) et un palais des festivals (le CID) en 1993 achève. ront de faire de Deauville une sta. tion d’envergure internationale. Pour en arriver là, Deauville a bénéficié d’une étonnante alchimie qui s’est nouée, dans les années 60, à l’heure où le littoral normand subissait la rude concurrence des côtes de l’Atlantique et de la Méditerranée.
Le cheval et le casino
Alors que ses voisines ne pouvaient rien pour enrayer leur déclin, Deauville a misé sur le cheval et le casino Résultat : la mer ne joue plus ici qu’un rôle secondaire mais ses deux autres atouts, beaucoup plus considé. rables, ont donné un second souffle à la station. Au fill du temps, Deauville a réussi à proposer de grands rendez-vous tout au long de l’année : festival de musique à Pâques, Festival mondial du bridge en juillet, courses de chevaux en été, vente de yearlings et championnat du monde de polo fin août, Festival du cinéma américain en septembre, rallye Paris-Deauville en automobiles anciennes en octobre… L’activité appelant l’activité et la richesse attirant la richesse, Deauville est aussi devenu une grande ville de congrès, ce qui n’est pas le moindre avantage pour amortir un parc hôtelier qui compte 1 300 chambres, dont 800 quatre étoiles de luxe.
« Ceux qui se montrent » et « ceux qui regardent »
La réputation de Deauville s’est toujours mesurée aux noms des têtes couronnées, industriels et artistes qu fréquentaient la station. Hier Coco Chanel, le maharad jah de Kapurthala, L’Agha Khan, Maurice Chevalier Mistinguett, Orane Demazis, Albert 1er de Belgique Alphonse XIII d’Espagne, André Citroën… Aujourd’hui Yves Saint-Laurent, Claude Lelouch, Gérard Depardieu, Jane Birkin, Antoine de Caunes, Isabelle Huppert, Guillaume Durand, Patrick Poivre d’Arvor, Edouard Balladur… « Toutes ces célébrités sont facilement accessibles dans le cadre chaleureux de Deauville, qui a conservé un côté village », assure Yves Aublet. En raison de cette pléthore de vedettes, l’atmosphère deauvillaise reste toutefois très particulière. Le Guide du Calvados (La Manufacture, 1988) assure qu’à Deauville se côtoient deux mondes : « ceux qui se montrent » et « ceux qui regardent ». Le Guide du routard de Normandie (Hachette, 1997) le dit de manière plus directe: Les riches se sentent obligés de s’y montrer, histoire de ne pas passer pour des pauvres. Les pauvres s’y rendent au moins une fois, histoire de voir comment vivent les riches. » A cet égard, la promenade des Planches reste le lieu où ce jeu de miroirs prend toute sa dimension. Mais le spectacle est aussi un peu plus loin, car à Deauville, comme dit la célèbre plaisanterie, « il y a aussi la mer ».
A visiter sur Deauville
La première villa balnéaire de la côte normande
Le promeneur un peu attentif peut découvrir un curieux chalet blanc qui s’élève au lieu dit Les Rouges Fontaines, près de Criquebæuf, dans la forêt de Saint-Gatien, sur un coteau qui domine la baie de Seine. Construite vraisemblablement en 1817 par Ulric Guttinger, le fils d’un immigré suisse protestant, cette demeure est peut-être la première villa à vocation balnéaire de la côte. Ce jeune homme, qui menait une vie oisive, s’est inspiré de plans qu’il s’est procurés dans le pays natal de son père. Après avoir perdu son épouse en 1819, Ulric Guttinger s’installe à Paris où il mène une vie dissolue durant près de dix ans. En 1828, il connaît une crise mystique et se retire dans son chalet normand, qui connaît alors, selon JeanFrançois Masse, qui en a retracé l’histoire, ses « heures de gloire », accueillant les plus grands noms de l’époque romantique : Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, Charles Baudelaire, Charles Augustin Sainte-Beuve ou encore Antoine de La Tour. Le chalet changera de main après la mort de Guttinger, en 1866, deviendra un temps une colonie les restes de la première villa de vacances et attend aujourd’hui d’être restauré. Mais la promenade à la Fontaine Virginie, en contrebas, reste toujours aussi merveilleuse.
Les villas du bord de mer
Seules les anciennes photos témoignent des premières villas du front de mer de Deauville. Avant que le style balnéaire anglo-normand ne s’impose, l’architecture des premières villas de la Côte fleurie s’inspirait de sources souvent diverses. A Trouville, la villa Montebello rappelle le style Louis XIII, celle de la princesse de Sagan a des allures persanes, tandis que le gothique anglais voisine avec l’alsaço-normand à Deauville. Sur le front de mer de Deauville, les plus anciennes ont disparu pour laisser place à un grand hôtel et à des immeubles. Elles s’appelaient La Louisiane, Elisabeth et Victoria Lodge et appartenaient aux fondateurs de la station, le duc de Morny, le docteur Oliffe et le banquier Donon. Nombre d’autres villas construites au siècle dernier ou à la Belle Epoque connurent le même sort. Les descendants des fondateurs n’avaient pas toujours les moyens d’entretenir de telles bâtisses ou ne goûtaient guère les séjours estivaux sur la côte normande. Certaines furent toutefois sauvées et cloisonnées en appartements. La magnifique villa Strassburger, construite par les Rothschild puis cédée à une héritière Singer, derrière l’hippodrome de la Touques, fut rachetée par la ville, qui la fait visiter. Quelques-unes seulement conservèrent leur vocation initiale, comme La Romaine, La Palissy, Roxelane, Les Girouettes, Le Rayon vert…. Parmi celles-ci, la villa Camélia, qui appartient au ministre de la Défense de l’émirat de Dubaï, Maktoum al Maktoum, vient de connaître une brillante résurrection. Cet homme, dont la famille possède une écurie de 3 000 chevaux et se partage un revenu annuel de 75 milliards de francs, n’a pas compté pour restaurer la villa Camélia…
Le casino
Pas de station balnéaire sans casino. Deauville eut le sien dès 1863. Mais cet établissement, qui ressemblait, selon certains, à une gare de chemin de fer, ferma ses portes en 1895. La ville renonça même au droit d’autoriser des jeux sur son territoire en échange d’une redevance versée par les casinos de Trouville. Une annexe de ce dernier fonctionnera toutefois une dizaine d’années à Deauville. Après une bataille homérique, Deauville retrouvera finalement en 1912 le droit d’exploiter son propre casino avec la construction de l’établissement actuel. (Euvre de l’architecte Georges Wybo, qui avait déjà construit l’Hôtel royal voisin et le magasin Le Printemps à Paris, il s’élève face à la mer sur le boulevard de la Terrasse. L’ensemble est majestueux et rappelle le Grand Trianon. Dopé par l’autorisation des machines à sous et rénové en 1988, cet établissement appartenant au groupe Lucien Barrière compte 20 tables de jeux, trois restaurants et une boîte de nuit. Les lieux méritent une visite. L’entrée est libre, seule une tenue « correcte » est exigée.
A visiter autour de Deauville